Sur les grès humides

Au commencement de l’année, le timide rallongement de la durée du jour aiguise l’impatience du botaniste. Dans le Midi de la France, les premières prospections botaniques peuvent être consacrées à l’observation de la flore très précoce de la Provence cristalline1. Dans cet ensemble, la Plaine des Maures constitue un très haut lieu de la biodiversité provençale.

Le paysage se présente comme une mosaïque de zones naturelles et de zones agricoles. Les pinèdes de Pin parasol alternent avec des bosquets de Chêne liège, des maquis, des vignobles et des affleurements de grès imperméables. Durant l’automne et l’hiver, l’eau des pluies saisonnières ruisselle sur les dalles rocheuses et s’accumule dans des mares peu profondes. Ces réseaux hydriques s’assèchent dès la fin du printemps, lorsque les pluies se font rares. La singularité de ces biotopes réside dans l’alternance d’une phase inondée durant la saison fraîche et d’une phase asséchée durant la saison chaude. Ces conditions écologiques sont très contraignantes pour la flore. Les espèces doivent s’adapter à cette succession de phases aquatiques et de phases terrestres arides. Ces adaptations se traduisent en particulier par la très petite taille des individus, et par des cycles de vie très brefs. On y observe des groupements de plantes naines éphémères qui se succèdent durant les six premiers mois de l’année.

1. Par opposition à la Provence calcaire, la Provence cristalline désigne la région géologique qui correspond aux massifs anciens de la Provence : massifs métamorphiques et granitiques des Maures, de l’Esterel et du Tanneron, ainsi que la dépression permienne.

Mare temporaire

Minuscules fougères

L’hiver est la pleine saison de fructification de l’Ophioglosse du Portugal (Ophioglossum lusitanicum). Cette fougère naine se reconnait à ses deux types de frondes2 juxtaposées : une fronde fertile, accompagnée d’une ou deux frondes stériles. La fronde fertile est réduite à un pédoncule qui porte un épi de sporanges3 disposés par paires. Les frondes stériles sont lancéolées, concaves et dressées à côté de la fronde fertile. C’est une espèce localement abondante sur les sables humides, en bordure de petites cuvettes ensoleillées. Hormis en Corse et dans les massifs cristallins de Provence, elle est rare en France. L’Ophioglosse du Portugal est protégé en région PACA et en ex-région Languedoc-Roussillon.

C’est dans ces mêmes milieux que se développe le très discret Isoète de Durieu (Isoetes durieui). Il est difficile de reconnaitre une fougère dans cette plante minuscule. Les frondes sont filiformes et rassemblées en une petite touffe qui dépasse peu la surface du sol. Dans le sol, elles sont groupées en une sorte de petit bulbe. La fructification est très peu visible car elle se déroule dans le sol, à la base des frondes. Plusieurs autres espèces d’Isoètes sont présentes dans les régions méditerranéennes de France. Toutes ces espèces sont protégées en France.

L’Isoète de Durieu et l’Ophioglosse du Portugal sont caractéristiques des zones humides temporaires méditerranéennes oligotrophes4. Ces habitats naturels ne s’observent que sur les substrats acides des régions à climat méditerranéen. Ces zones humides sont très vulnérables car elles dépendent de la conservation de conditions écologiques très particulières. Elles sont très sensibles à toute modification du biotope comme la réduction de la pluviométrie, la modification des écoulements, le comblement des mares ou les apports de matière organique.

2. Les frondes désignent chez les fougères les organes végétatifs analogues aux feuilles des végétaux supérieurs

3. Les sporanges sont des vésicules qui produisent et contiennent les spores

4. "0ligotrophe" désigne un milieu pauvre en éléments minéraux nutritifs

Ophioglossum lusitanicum
Isoetes durieui

Premières gagées

Parmi les premières espèces à fleurs qui apparaissent en hiver dans la Plaine des Maures, la Gagée de Bohème (Gagea bohemica) est l’une des plus précoces. Elle s’épanouit entre les mois de janvier et mars, parfois même dès le mois de décembre.

La détermination des différentes espèces de gagées est réputée difficile, sans doute parce que la plupart des espèces offrent des fleurs à 6 tépales5 jaunes, très ressemblantes d’une espèce à l’autre. La Gagée de Bohème est toutefois facile à identifier : les feuilles basales filiformes qui accompagnent l’inflorescence souvent très courte permettent de reconnaitre facilement cette espèce très précoce.

La Gagée de Bohème se rencontre dans les zones rocailleuses de nombreux massifs du sud de la France et de la Corse. Comme la plupart des espèces de Gagées, elle est protégée en France.

5. Lorsque les pétales et les sépales sont très ressemblants, on peut parler de tépales pour désigner les pièces florales

Gagea bohemica