Des milieux naturellement peu étendus
Le relief de la région PACA est très prononcé et les côtes rocheuses sont prépondérantes le long du littoral. A l’est du delta du Rhône, les petits fleuves côtiers s’écoulent dans des bassins versants encaissés et les plaines alluviales sont le plus souvent cantonnées aux basses vallées, à proximité des embouchures.
Ces rares plaines littorales ont été longtemps considérées comme insalubres et délaissées par les activités humaines. L’agriculture s’est progressivement développée dans ces terrains proches de la nappe phréatique. Les activités pastorales extensives ont favorisé le développement de prairies humides, entretenues jusqu’à une époque récente1. Rares en contexte méditerranéen, ces prairies constituent des biotopes frais et humides, attractifs pour des espèces réfractaires à l’aridité du climat. L’originalité de la flore et l’abondance d’espèces rares dans ces prairies ont depuis longtemps retenu l’attention des botanistes, qui ont multiplié les prospections depuis le 19ème siècle, dans les départements du Var et des Alpes-Maritimes2.
Le paysage de ces agrosystèmes a été profondément modifié au cours des dernières décennies. La déprise agricole a conduit à l’abandon de nombreuses exploitations, recolonisées par des friches ou des boisements pionniers de Frênes. Mais c’est surtout le développement important de l’urbanisation qui a artificialisé et fragmenté ces milieux. Au fond du golfe de St-Tropez, la transformation du paysage dans la plaine de la Giscle est un très bon exemple de cette évolution.
1. Lavagne A. & Moutte P., 1974 - Feuille de Saint-Tropez - Q23 - au 1/100000e . Bull. Carte Végét. Provence & Alpes Sud I, 3-43.
2. Behou-Pierini F., Dental C., Diadema K., Laurent D., Kulesza V., Menetrier F., Motta L., Offerhaus B. & Salanon R., 2013 - Sauvegarde par acquisition foncière – Ville d’Antibes – CEN PACA – de parcelles des « Prairies de la Brague », site d’intérêt patrimonial majeur Riviera Scientifique, 97, 31-44
La transformation radicale d'une plaine inondable
A propos de la basse vallée de la plaine de la Giscle, les Camus père et fille1 écrivaient en 1912 : « les alluvions de la grande et belle plaine de Grimaud ont permis l’établissement d’une florule particulière qui se continue dans la partie inférieure des vallées et sur les bords des rives des torrents qui s’y réunissent ».
La plaine de la Giscle et son prolongement dans la vallée de la Mole ont été longtemps dominés par l’agriculture, principalement des vignes et des prairies fauchées et pâturées. Les zones naturelles se cantonnaient au niveau des secteurs les plus humides : proximité des cours d’eau, sols gorgés d’eau près des remontées de la nappe, lagunes proches de l’estuaire… Les parcelles agricoles, drainées par des réseaux de canaux, composaient un paysage très ouvert et peu boisé. C’est à la fin des années 60 que l’environnement s’est profondément modifié. Le cordon dunaire et les marais littoraux associés à l’estuaire de la Giscle ont laissé place à la cité lacustre de Port-Grimaud, inaugurée en 1966. Au cours des décennies suivantes, de vastes surfaces ont été artificialisées par l’extension des zones urbanisées et des zones d’activités, au détriment des espaces naturels et des espaces agricoles. Les infrastructures de transport ont contribué à fragmenter et cloisonner l’espace. Dans le même temps, des boisements pionniers à Frêne et des friches se sont développé dans les zones en déprise agricole.
Au paysage agricole ouvert s’est substitué un paysage très morcelé, dans lequel l’activité agricole ne se maintient que par taches, entre des zones artificialisées et des boisements de reconquête. Les zones humides ont pour la plupart été drainées et les prairies humides ne s’observent plus que dans de petites parcelles.
Camus E.G. & Camus A., 1912 - Florule de Saint-Tropez et de ses environs immédiats, Librairie Paul Lechevalier, Paris, 38 p.
De remarquables reliques
Malgré cette évolution qui a réduit et banalisé les habitats naturels, des stations d’espèces remarquables parviennent à se maintenir dans les prairies humides et les bords de ruisseaux. L’une des espèces les plus emblématiques de ce patrimoine est la Nivéole élégante (Leucojum pulchellum). Très précoce, elle débute sa floraison dès le mois de janvier.
Cette espèce bulbeuse croit en touffes plus ou moins denses. Les tiges sont accompagnées de feuilles basales linéaires vert sombre, glabres et luisantes. Elles portent des inflorescences terminales, qui regroupent 2 à 4 fleurs pendantes à l’aisselle d’une spathe à deux valves soudées. C’est une espèce liée aux milieux humides : prairies humides, bords des ruisseaux et lisières de ripisylves dans la région méditerranéenne.
La Nivéole élégante a été longtemps considérée comme une sous-espèce de la Nivéole d’été (Leucojum pulchellum), plante de plus grande taille, plus tardive et à tépales devenant légèrement translucides à maturité.
La Nivéole élégante est une espèce endémique de l’ouest du bassin méditerranéen. Son aire de répartition est morcelée. Elle comprend plusieurs des îles tyrrhéniennes (Baléares, Corse, Sardaigne et Ile de Porquerolles) et quelques stations continentales (départements du Var et des Alpes-Maritimes en France, nord-est de l’Algérie où elle est a été récemment découverte1). L’espèce ayant été cultivée par endroits, son indigénat est localement contesté en France : certaines de ses stations correspondent vraisemblablement à la naturalisation de plants échappés de jardins, notamment dans les Bouches-du-Rhône2, et peut-être dans les Alpes-Maritimes3.
Dans les mêmes milieux, les généreuses inflorescences du Narcisse à bouquets (Narcissus tazetta) apparaissent en même temps que la Nivéole. Au fil des saisons, Botaniste recherchera plusieurs espèces remarquables dans les prairies humides de la presqu’île de St-Tropez, par exemple l’Aristoloche pâle (Aristolochia pallida), l’Orchis à fleurs lâches (Anacamptis laxiflora), le Sérapias négligé (Serapias neglecta), la Linaire de Grèce (Kickxia commutata), l’Oenanthe globuleuse (Oenanthe globulosa) ou l’Oenanthe fistuleuse (Oenanthe fistulosa).
1. Saci A., Boussaada Z., Hamel T. et G. De Bélair G., 2013 - Première observation d’une endémique tyrrhénienne (Leucojum aestivum subsp. pulchellum, Amaryllidaceae) sur le continent africain (Algérie). Fl. Medit. 31: 123-128
2. Pavon D. & Pires M., 2020 - Flore des Bouches-du-Rhône, Naturalia publications, Turriers, 351 p.
3. Salanon R., Kulesza V. & Offerhaus B., 2010 - Memento de la flore protégée des Alpes-Maritimes. ONF, Editions du Cabri. 319 P.
De mesures de protection partielles
Les principaux noyaux de population de la Nivéole élégante sont répartis dans le département du Var, notamment dans les zones humides du plan de la Garde (Le Pradet), de Macany (Hyères), de la plaine des Maures (Les Mayons, Le Cannet des Maures) et la presqu’île de St-Tropez (Ramatuelle, Cogolin, Grimaud, la Mole). En raison de sa rareté et de la vulnérabilité de ses habitats, la Nivéole figure parmi les espèces à plus fort enjeu de conservation de la région PACA1. Elle est protégée en France (sous le nom de taxon « Leucojum aestivum »).
Quelques populations de l’espèce se trouvent dans des espaces qui bénéficient d’une protection règlementaire forte : Arrêté de protection de biotope des anciens Salins de St-Tropez, cœur du Parc national de Port-Cros et Réserve naturelle nationale de la Plaine des Maures. Dans le Plan de la Garde, elle bénéficie d’une protection par maîtrise foncière (Espaces naturels sensibles du département du Var). L’essentiel des stations se trouve toutefois dans des espaces totalement dépourvus statuts de protection règlementaire.