Une vernale de sous-bois
En hiver, les arbres caducifoliés sont dépourvus de feuilles et les sous-bois bénéficient d’un éclairement important. Plusieurs espèces bulbeuses profitent de cette luminosité et se développent dès que la durée du jour commence à s’allonger. Le Perce-neige (Galanthus nivalis L.) est l’une de ces géophytes1 vernales. Dans le sud-est de la France, il fleurit dès le début du mois de février. Avec sa fleur unique suspendue à l’extrémité de petites tiges penchées, il est très facile à reconnaitre.
Les fleurs sont composées de 6 tépales libres. Les 3 tépales internes sont courts et échancrés, blancs, et maculés d’une tache rayée verte. Les 3 tépales externes sont plus longs, arrondis au sommet et totalement blancs. Les fleurs s’épanouissent au soleil et se rétractent lorsque la lumière décroit. Deux feuilles glauques légèrement pliées accompagnent chaque tige.
1. Géophyte : espèce qui traverse la saison froide grâce à des organes végétatifs protégés par le sol (bulbes, rhizomes, ou tubercules).
Des peuplements médio-européens
On peut s’étonner de trouver un article sur le Perce-neige dans ces pages dédiées au domaine méditerranéen. En effet, cette délicate Amaryllidacée est réputée réfractaire aux climats chauds et secs. Elle se rencontre surtout dans les bois frais et dans les prairies humides de l’Europe de l’ouest et de l’Amérique du nord. Sa présence en Provence surprend. Elle n’y a été découverte qu’en 1961 dans le massif du Tanneron1. Un petit territoire situé à la limite des départements du Var et des Alpes-Maritimes concentre la plus grande partie des stations de la région Sud2. Pour l’admirer dans le sud-est de la France, Botaniste provençal se rendra dans les ripisylves3 de la basse vallée de la Siagne.
La Siagne est un petit fleuve côtier alimenté par les résurgences du karst des Préalpes. Les eaux sont claires et bien oxygénées. Elles restent abondantes et fraîches, même en été. Grâce aux forêts galeries et à l’écoulement de ces eaux fraiches, des biotopes tempérés se maintiennent dans les fonds de vallées. Ces situations sont rares en contexte méditerranéen. Elles ont offert des refuges à la flore lors des grands épisodes d’alternance climatique, notamment lors du réchauffement qui a suivi la dernière période glaciaire. Grâce à ces refuges, des forêts de Charme (Carpinus betulus) très originales ont pu se maintenir dans les vallons frais du Tanneron et de l’Esterel4,5. Le Perce-neige est une des espèces caractéristiques de ces Charmaies résiduelles qui compte nombre d’autres raretés d’affinité médio-européennes et balkaniques. Ces enclaves tempérées en contexte méditerranéen aride illustrent le phénomène d’insularisation écologique6 qui est l’un des concepts développés par l’écologie du paysage.
Poirion L., 1963 - Présence du Galanthus nivalis L. dans l'extrême Sud-Est - Le Monde des plantes, n°338, 9. Salanon R., Rebuffel G. & Wagenheim P., 2005 - Le Perce-neige (Galanthus nivalis L.) dans les gorges inférieures de la Siagne ( Var et Alpes Maritimes), Riviéra scientifique n° 89, p. 59- 76. Ripisylves : forêts galeries qui bordent les berges des cours d'eau. Loisel R. 1976. - La végétation de l'étage méditerranéen dans le sud-est continental français. Thèse 3ème cycle, Doc. Univ., Université d'Aix-Marseille III, 384 p. Barbero M. & Loisel R., 1974 - Carte écologique des Alpes au 1/100.000 feuille de Cannes (Q22). Documents de cartographie écologique 14, p. 81-99 MacArthur R. H. & Wilson E. O, 1967 - The Theory of Island Biogeography. Princeton, N.J. Princeton University Press, 203 p.
Un autre candidat au Moly
Dans un post précédent, la question de l’identité du Moly était évoquée. Il s’agit de cette plante offerte par Hermès à Ulysse pour contrecarrer les sorts de Circé. Le Perce-neige coche toutes les cases pour endosser ce rôle. Effectivement, elle est très difficile à «arracher pour les mortels», car le bulbe est profondément enterré. De plus, avec leurs pétales blancs, les fleurs « ressemblent à du lait ». Enfin, le bulbe contient de la Galanthamine. Cette substance contrecarre les effets de l’atropine, alcaloïde qui serait à la base des poisons de Circé1,2. Mais la Galanthamine est également produite par les Nivéoles. Nivéoles et Perce-neiges sont génétiquement très proches. Les deux plantes ont été longtemps confondues, jusqu’à ce que Linné attribue à chacune un nom de genre. Pour ce qui est du Moly, Galanthus et Leucojum ne sont pas encore départagés et le débat n’est pas définitivement clos.
Très intéressant et jolies photos !!
Merci Michèle, merci Christian !