Une remarquable diversité d'espèce
Combien d’espèces de Tulipes sauvages en Provence ?
De la famille des Liliaceae, les tulipes sont des espèces bulbeuses qui fleurissent en Provence durant quelques semaines entre les mois de mars et avril. Le genre Tulipa s’est diversifié en Asie centrale, principalement dans les steppes du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Turkménistan et de l’Ouzbékistan1. Depuis ce foyer d’endémisme, les espèces se sont répandues dans les zones tempérées de l’Europe du nord, du Proche-Orient et du Moyen-Orient, grâce aux dynamiques naturelles de dispersion des espèces, mais aussi grâce à la diffusion des bulbes par les sociétés humaines. La Provence constitue un bastion important pour la conservation de plusieurs espèces. Celles-ci sont rattachées à trois groupes : le groupe « Oculus-solis », qui comprend trois tulipes rouges, le groupe « Australes » qui réunit deux tulipes jaunes et le groupe « Clusianae », représenté par une unique espèce. Au total, cinq espèces de tulipes, dont une regroupant deux sous-espèces, sont présentes en Provence. Les scientifiques ne sont pas tous d’accord sur la nomenclature à appliquer pour nommer les taxons : le statut d’espèces ou de variétés attribué aux différentes tulipes est encore discuté. Les descriptions qui suivent adoptent le référentiel taxonomique « TaxRef » élaboré et diffusé par le Muséum national d’Histoire naturelle.
Trois tulipes rouges
La distinction entre les trois tulipes à fleurs rouges est basée sur la forme des tépales, la couleur de la macule et la forme des étamines.
La Tulipe d’Agen (Tulipa agenensis DC., 1804) est de petite taille. Elle se reconnait à ses tépales presque égaux. Les tépales internes sont pointus, les externes un peu plus longs et très effilés à l’extrémité. La base des tépales porte une macule noire largement bordée de jaune. Cette ornementation lui doit le nom d’0eil-de-Soleil (Oculus-solis). Elle est bien présente dans le midi de la France, principalement en région PACA et dans le bassin de la Garonne.
La Tulipe de Lortet (Tulipa lortetii Jord., 1858) est un peu plus grande que la Tulipe d’Agen. Elle aussi présente des tépales presque égaux mais ils sont arrondis ou légèrement pointus à l’extrémité et pas du tout effilés. A la base des tépales, la macule noire n’est pas bordée de jaune. La petite pointe (mucron) qui prolonge l’extrémité des étamines est un critère de distinction fiable. Cette espèce est rarissime en France, où elle n’est connue que de quelques localités de la région PACA, uniquement dans les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-Maritimes.
La Tulipe précoce (Tulipa raddii Reboul, 1822) est la plus robuste des tulipes à fleurs rouges. Elle se reconnait à ses tépales très inégaux : les tépales internes arrondis sont beaucoup plus petits que les tépales externes et s’ouvrent peu. Comme pour la Tulipe d’Agen, la macule noire à la base des tépales est bordée de jaune. La Tulipe précoce est présente dans plusieurs secteurs du midi de la France : zone méditerranéenne, bassin de la Garonne et plus rarement vallée du Rhône et zone alpine.
Deux tulipes jaunes
La Tulipe des bois (Tulipa sylvestris L., 1753) est la seule espèce de tulipes à fleurs jaunes naturellement présente en France. Elle est représentée par deux sous-espèces.
La Tulipe des bois (Tulipa sylvestris L., 1753 subsp. sylvestris) est une espèce de grande taille. Ses tépales sont uniformément jaunes à l’intérieur et jaunes parfois teintés de vert à l’extérieur. La Tulipe des bois est rare dans son aire, mais on peut la rencontrer dans une grande partie de la France. Elle peut constituer localement des populations importantes.
La Tulipe australe (Tulipa sylvestris subsp. australis (Link) Pamp., 1914) est de plus petite taille. Ses tépales sont jaunes à l’intérieur et le plus souvent lavés de rouge à l’extérieur. La Tulipe australe est fréquente dans les garrigues des collines et basses montagnes de la région méditerranéenne française continentale.
Une tulipe rose et blanche
La Tulipe de Perse ou Tulipe de l’Ecluse (Tulipa clusiana DC., 1804) ne peut être confondue avec aucune autre. Les tépales sont aigus, blanc pur à l’intérieur et portent une macule violette à la base. L’extérieur des tépales internes est blanc. En revanche, l’extérieur des tépales externes porte une tache rose vif très caractéristique, qui vaut parfois à l’espèce le nom de Tulipe radis. Cette espèce est très rare en France, où on ne la rencontre que très localement, principalement dans le Midi de la France,
1 : Tojibaev K. & Natalya Beshkok N., 2017 - Révision et distribution du genre Tulipa (Liliaceae) en Ouzbékistan. J. Bot. Soc. Bot. France 78, 49‑60.
Des tulipes et des hommes
De précieuses orientales
Sur notre territoire, la plupart des espèces ont été introduites. Seule la Tulipe australe est indigène. Il est admis par la plupart des auteurs que l’introduction des tulipes en Europe remonte au 16ème siècle depuis la Turquie. D’abord cultivées en Perse dès le 11ème siècle, elles ont été introduites en Anatolie par les ottomans et abondamment cultivées dans les jardins de Constantinople. L’introduction de la tulipe en Europe tient à très peu d’acteurs. Pierre Belon, modeste apothicaire auvergnat envoyé en mission au Proche-Orient ramène quelques bulbes. Un peu plus tard, Ogier Ghislain de Busbecq, ambassadeur de Ferdinand d’Autriche, découvre les tulipes dans les jardins du sultan Soliman le Magnifique. Il en ramène des bulbes qu’il confie aux jardins impériaux de Vienne. Les fleurs attirent l’attention du médecin-botaniste-horticulteur Charles de l’Ecluse, chargé de gérer les jardins. Il constitue une collection qu’il installe plus tard en Hollande, dans le jardin botanique de l’université de Leyde, où il est nommé professeur. Se développe alors un engouement historique, sorte d’hystérie collective baptisée Tulipomania où se mêlent curiosité, admiration, fascination, spéculation et frustration.
Pour certains auteurs, l’introduction des tulipes en Europe est plus ancienne. Les bulbes de tulipes auraient été introduits en même temps que les plants d’oliviers et de vignes lors de l’expansion de l’empire romain.
Que ces espèces soient des néophytes (espèces introduites après 1500) ou des archéophytes (espèces introduites avant 1500), elles ont conquis les jardins et, plus généralement, les zones cultivées, où elles se sont diversifiées. Elles constituent aujourd’hui des éléments remarquables de notre flore. Hormis la Tulipe australe, toutes les espèces sont protégées en France1.
Fleurs de la terre et du travail des hommes
A l’exception de la Tulipe australe, toutes les espèces de tulipes présentes en Provence sont inféodées aux activités humaines. Ces espèces naturellement liées aux milieux steppiques ouverts, trouvent des conditions écologiques favorables dans les parcelles cultivées (vignes,vergers, céréales…) où elles bénéficient à la fois d’un entretien des sols propice à la dispersion des bulbes et du maintien de milieux ouverts, qui évite la concurrence des arbres et des arbustes. Les tulipes sont considérées comme des espèces messicoles, plantes qui se développent strictement ou préférentiellement dans les espaces cultivés2.
1. Danton P. & Baffray M., 1995 - Inventaire des plantes protégées en France. Editions Nathan et Association française pour la conservation des espèces végétales (A.F.C.E.V), Paris et Mulhouse. 294 p.
2. Cambecèdes J., Largier G. & Lombard A., 2012 - Plan national d’actions en faveur des plantes messicoles. Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées – Fédération des Conservatoires botaniques nationaux – Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. 242 p
Heurs et malheurs des tulipes de Provence
Une réduction drastique
La régression des stations de tulipes depuis la seconde moitié du 20ième est très significative, en Provence comme dans l’ensemble du territoire national. La principale cause de l’effondrement des populations réside dans le changement des pratiques agricoles. Le recours massif aux herbicides a entraîné la destruction directe des sujets. Par ailleurs, l’intensification des cultures, avec des labours profonds s’est avérée très pénalisante pour l’espèce. L’entretien traditionnel plus superficiel des sols à la charrue et à la houe était au contraire favorable à la dispersion des bulbes de tulipes. Dans les zones en déprise, l’enfrichement des parcelles est défavorable aux tulipes, qui peuvent toutefois se maintenir à l’état végétatif de nombreuses années. Dans ce cas, la reconstitution de population reste possible. En revanche, l’artificialisation des sols par le développement des zones urbaines, des zones d’activité ou des infrastructure est délétère et entraine une disparition définitive des stations impactées.
Exemple d’une population en sursis
Dans la commune de Grasse, de très belles populations de Tulipe de Lortet et de Tulipe de l’Ecluse se maintiennent dans des versants cultivés en terrasses. Ces espaces agricoles se localisent dans les emprises d’un emplacement réservé destiné à recevoir un axe routier. Il s’agit du prolongement de la pénétrante Cannes-Grasse, une voie rapide conçue au milieu des années 1950 et en partie réalisée dans les années 1990. Pour construire cette infrastructure, les documents d’urbanisme ont réservé un emplacement de 15 ha environ, au bénéfice du département des Alpes-Maritimes. Ces emprises ont permis de maintenir un espace inconstructible dans un contexte de très forte pression urbaine. C’est dans cet espace que se développent les stations de Tulipes, avec des effectifs très élevés. Ces populations qui figurent parmi les plus importantes de la région PACA ont pu se maintenir dans ces espaces restés à l’écart de l’urbanisation. Soumis à la contestation d’associations de protection de l’environnement, le projet a connu de nombreux rebondissements : déclaration de l’intérêt public du projet en 2014 suivi de la déclaration d’expropriation en 2015, annulation des deux arrêtés par la cour administrative d’appel de Marseille en 2019, enfin, confirmation de la décision de la cour d’appel en Conseil d’État en 2021.
A l’issue de ce feuilleton, les populations de tulipes sont épargnées des projets de terrassements routiers, mais leur statut n’en reste pas moins précaire : si les terrains délivrés de l’emplacement réservé devenaient constructibles à la faveur d’une révision des documents d’urbanisme, l’avenir de ces tulipes s’avèrerait très incertain. Pour résumer : ces stations n’ont dû leur maintien qu’à la persistance d’un projet d’aménagement ancien qui n’a jamais été réalisé.